lundi 11 août 2008

laboratoires _

La démarche est une tentative de forger un canal, un tube de filtrage des informations extérieures, des influences du monde qui m’apparaissent parfois comme une vague magmatique, un chaos de perceptions _
Ce canal, ce tube, nous pouvons le voir également comme une grille, mais une grille en trois dimensions, profonde _ un relais vivant : le corps _ les mains _ le cerveau et ses prolongements : les machines _
Bourriaud utilise un terme qui me plaît lorsqu’il parle des artistes contemporains _ il parle de sémionautes. Il dit que le sémionaute produit des parcours originaux parmi les signes _
Alors évidemment, nous récoltons une quantité phénoménale de signes tout au long de notre vécu. Nous apprenons à les stocker, les distribuer, les diffuser, les disperser, les engendrer, mais avant tout, nous les sélectionnons _
Cette opération de sélection contraint à faire des choix, un tri purement discriminatoire et dans mon cas, totalement subjectif, voire intuitif _
L’intuition occupe une part considérable dans cette procédure et soutient l’obligation de réduction du dispositif : à la fois des moyens utilisés pour enregistrer le matériau de base et le traitement numérique dudit matériau _
L’intuition m’a conduit à ne plus utiliser que le téléphone portable en raison de la légèreté de l’appareil et du format des images _
Le lo-fi est un choix délibéré, un essai de forme de langage qui m’autorise la liberté de manœuvre dont j’ai envie _ C’est également un type d’images qui inonde notre appréhension de la réalité : chacun décrypte et génère aisément de plus en plus d’images basse résolution. Mais le premier niveau de sélection se situe en amont : il s’agissait de créer un socle en dur sur lequel appuyer la réflexion, qui s’est traduit par trois plates-formes d’archivage _

La plate-forme 1 porte le titre de PICTO avec une plate-forme parallèle et équivalente : PICTO ANIMA _ Cette double plate-forme regroupe toutes les images fixes et en mouvement qui servent de base au travail vidéographique _

La plate-forme 2 porte le titre SONO et comprend tout ce qui a trait à l’espace sonore : les musiques ; les ambiances ; les bruits ; les voix modulées intérieures_extérieures à l’intérieur et à l’extérieur _

La plate-forme 3 porte le titre LOGO et englobe les langages ; les textes ; les paroles ; les signes et leur syntaxe ; les mots et les choses. Il peut s’agir de textes lus ou composés ; de paroles entendues ; de gestes traduits par la voix, les voix _
Entre ces 3 plates-formes, j’agence des articulations qui font sens au niveau de l’aménagement de l’espace et du temps _

Je fais la tentative de mettre le présent en exergue ; de le surligner ou le mettre entre guillemets _

Il s’agirait d’atteindre le sentiment de synthèse par un agencement d’interconnexions de la pensée et des connaissances ; de la création de liens entre le vécu et mes archives poétiques des moments perdus :
l’attente, l’ennui, les déplacements d’un champs de perception à l’autre _ une sorte d’art de la fuite du temps _ l’instant où le grain passe par l’espace le plus étroit du sablier _ laisser s’insinuer des marques visibles sur le parcours…

Cette expérimentation d’archivage a besoin de structure _ mais je désire traverser les frontières, franchir les limites en me contraignant à l’a-systématique ou plutôt, en me laissant porter par mes intuitions _
Cependant, il m’a fallu ériger des règles _
Pour transgresser, je devais posséder des lois, une procédure _

Pour PICTO et PICTO ANIMA, la première option décisive fut de considérer le téléphone portable comme un carnet de notes ; un enregistreur d’aspects du vécu à saisir ; un fixateur d’images d’images ; ou un éventuel révélateur de projets, d’histoires à raconter…
La seconde fut la décision ferme de ne rien jeter : la première prise est la bonne, la seule possible _ tout se vaut : l’équivalence esthétique comme contrepoids à la sélection initiale. Le choix du low-fi ramène tout sur le même plan de résistance qui permet de considérer les choses autrement : nous cherchons à traduire les images floues ; nous faisons un effort de reconnaissance et parfois nous sommes perdus et livrés, de fait, à notre imaginaire _
Dans un premier temps, le « ne rien jeter » a engendré la troisième règle : le « tourner/monter » _
Induisant la quatrième règle : la continuité dans l’ordre chronologique _

Pour ce qui concerne la plate-forme SONO, je me fie essentiellement à mes pérégrinations musicales et à la vigilance que je porte à notre cloche acoustique ambiante _ pour donner un ton, une couleur ; créer une ambiance, une vibration caractéristique de la présence et souvent, le reflet de ma propre voix intérieure _ celle qui scintille à un certain rythme _

Quant à LOGO, les sources remontent à loin…
Ma bibliothèque est au cœur du processus, en filigrane _ c’est l’axe central et presque invisible de la démarche… Je laisse des indices, je propose des ouvertures, j’introduis des citations. J'ai des livres partout _ dans des sacs, à moitié entamés. Des piles dans tous les coins, sur, sous des tables, coincés derrière des tuyaux de chaufferie, comme incrustés dans les lieux que j'habite, à l'image de l'empreinte qu'ils laissent en ce que je suis.

Les essais d’agencement entre ces 3 plate-formes ont mis en place une narration que je veux onirique ou poétique hallucinatoire : une sorte de « zapping spatio-temporel » aléatoire du vécu; du ressenti; du pensé.
Le terme « zapping » étant induit directement de la faible capacité du temps d’enregistrement de l’appareil, puisque les prises ne dépassent pas 15 secondes.

Arrivée au terme de 3 ans d’expérimentation, je me rends compte que ces archives sont devenues source d’inspiration thématique. Des fils conducteurs sont apparus ; des récurrences d’intérêt qui portent sur les couvertures de livres ; le ciel ; les écrans ; les slogans ; les déplacements…

« Nous ne cessons pas de nous insinuer dans les plis de la nature. Pour nous, la nature est un ensemble de plis mobiles, alors nous nous insinuons dans le pli de la vague. Habiter le pli de la vague, c’est ça notre tâche _ », dixit Gilles Deleuze.